Michel Coeuriot

Alain Souchon, Laurent Voulzy, Marc Lavoine, Michel Jonasz, Catherine Lara, Hélène Ségara et bien d’autres… Quel rapport entre eux me demanderez-vous ? Ils sont tout simplement passés à un moment ou à un autre entre les mains de Michel Cœuriot, réalisateur artistique de talent et de renom. Zoom sur un métier de l’ombre aux multiples facettes…

Si vous regardez bien les pochettes de vos CD (ou de 33 T pour les plus conservateurs), vous trouverez très certainement cette appellation : réalisateur artistique. Qu’est-ce donc ?

Michel, peux-tu nous éclairer sur le métier de réalisateur artistique ?
Ce sont déjà les mots réalisateur artistique qu’il faut remettre en question. Cette définition découle des directeurs artistiques des maisons de disques, qui ne s’occupaient que de l’artistique et allaient découvrir des jeunes talents, puis les aidaient à trouver des chansons et les formaient complètement comme ce fut le cas pour des artistes comme Jacques Brel ou Mireille Mathieu. Petit à petit, le métier de réalisateur a évolué vers celui d’arrangeur. Ce travail consiste à prendre une chanson à la base et l’habiller totalement afin d’obtenir le meilleur vêtement musical pour le chanteur ou la chanteuse.

Au fil du temps, l’arrangeur a pris de plus en plus d’importance pour l’artiste et est devenu réalisateur (producer en anglais), c’est-à-dire qu’il a totalement pris en charge la vie artistique de l’artiste. La maison de disques est plutôt devenue un gestionnaire au niveau de la production et de la promotion. Quand je parle du mot réalisateur, en ce qui me concerne bien sûr, je suis réalisateur, mais je suis avant toute chose arrangeur. D’autres réalisateurs, quant à eux, sont issus du son (par exemple ingénieur du son), d’autres encore sont simplement des entremetteurs avec un carnet d’adresses et connaissent des musiciens…

Tu portes donc les deux casquettes : arrangeur et réalisateur. Laquelle préfères-tu ?
Pour moi, c’est indissociable. On ne peut pas arranger si on n’aime pas la musique et l’artiste avec lequel on va œuvrer. C’est indispensable d’avoir le même feeling et surtout la même approche musicale. On va ainsi savoir ce qui va le mieux lui aller musicalement et orchestralement et, par voie de conséquence, décider de quelle manière, dans quel type de studio, avec quelle formation musicale et quel type de prise de son on va travailler. C’est avec le temps qu’on acquiert tout cela, c’est donc avec le temps qu’on devient réalisateur.

Tu n’as donc pas commencé comme réalisateur.
Absolument. J’ai commencé avec Michel Jonasz comme co-réalisateur car Michel était déjà réalisateur avec l’ingénieur du son de l’époque, Claude Sahakian. J’étais arrangeur au même titre qu’Yvan Julien avec qui on se partageait les premiers albums. On trouvait une couleur aux chansons, on orchestrait et ensuite on laissait de côté le mixage et les textes. Maintenant, ce n’est plus du tout le cas. Je prends une chanson à la base et je fais en sorte d’en tirer le maximum, de trouver le meilleur tempo, la meilleure construction et la tonalité qui correspond bien au chanteur.

Michel Coeuriot
A partir de quel moment es-tu devenu réellement réalisateur ?
Je le suis devenu à la disparition des directeurs artistiques. Ce rôle est un peu revenu, mais sous l’appellation de producteur exécutif. Certains vont hurler en lisant ça, mais très peu d’entre eux ont une grande culture musicale et savent gérer artistiquement un chanteur.

Je suis réellement devenu réalisateur par un ami et grand musicien, Gabriel Yared, qui m’a passé le flambeau au moment où il a commencé la composition de musiques de films, en me mettant indirectement arrangeur, un peu en sous-marin, sans que cela ne se sache, parce que les gens ont besoin de connaître le nom de la personne. Cela s’est fait de cette manière, insidieusement, comme un maître à son apprenti.

Et ensuite ?
Comme les albums dont j’ai fait les arrangements ont tout de suite été plus vendeurs – Joueur de blues de Jonasz par exemple fut pour lui un bon en avant – cela m’a donné une carte de visite. Après, tout s’est enchaîné très vite. Comme on navigue dans un microcosme et avec le bouche à oreille, je me suis rapidement retrouvé avec Louis Chédid, Catherine Lara, Souchon, Voulzy et ainsi de suite…

Tu choisis les artistes en les contactant ou c’est eux qui font la démarche de venir vers toi ?
La plupart des artistes me contactent directement ou par l’intermédiaire de leur maison de disques. Si on ne se connaît pas, on se rencontre pour voir si, humainement, le contact passe, on parle de musique, des influences et de ce qui pourrait leur correspondre le mieux, savoir également si de mon côté je m’adapterai à leur univers.

T’est-il arrivé de ne pas pouvoir travailler avec quelqu’un qui t’intéressait ?
Ça m’est arrivé plusieurs fois. Pour n’en citer qu’un, c’est Patrick Bruel. On s’est rencontré car il avait entendu parler de moi et adorait les disques de Laurent Voulzy. Le rendez-vous était au demeurant très sympathique. Il m’a présenté ses morceaux dont les textes n’étaient pas encore écrits. Tout en me connaissant, il avait peut-être besoin de savoir ce que je valais par rapport à ses maquettes. Je devais donc revenir vers lui avec une copie d’évaluation. Je n’ai pas donné suite car ce n’est pas ma façon de travailler. C’est important qu’il y ait un contact et qu’on se dise : on va construire ensemble quelque chose. On ne peut pas travailler par correspondance, il faut que cela soit le fruit d’une connivence pendant un certain temps.

Ton travail doit-il être différent suivant l’artiste, par exemple entre Souchon et Voulzy ?
Sur les premiers albums de Souchon, Laurent écrivait la plus grande partie des musiques. En revanche, quand je travaille sur un album de Laurent, la différence réside dans le fait qu’il est également arrangeur de ses chansons, donc c’est une co-réalisation et un co-arrangement. Au final, c’est le fruit d’une complémentarité. Je pense lui avoir apporté un côté groove, un peu latino qu’il n’avait pas à l’époque de ses influences très Beatles, très binaires. Alors qu’Alain, même si c’est un très bon compositeur, il me laisse réaliser la totalité des arrangements.

Michel Coeuriot

Comment se passe le travail en studio ?
Ce n’est pas toujours facile. Tu penses faire des bons choix de musiciens, mais parfois c’est raté. J’ai découvert beaucoup de jeunes musiciens, de jeunes talents (Manu Katché, Laurent Faucheux, Michel-Yves Kochmann…), comme de jeunes ingénieurs du son. Je les ai découvert parce qu’ils étaient bons, mais aussi parce que je sentais qu’ils avaient l’intelligence de pouvoir travailler en studio, de pouvoir se remettre en question et d’avoir la technicité. Il y a beaucoup de très bons musiciens qui ne peuvent jouer que ce qu’ils savent faire et c’est tout. C’est un handicap lorsque tu te retrouves en studio et que tu te rends compte que tu as fait une erreur car il est trop tard. Tu peux toujours changer l’équipe, mais tu passes alors pour quelqu’un de très dur. C’est ça le chef d’entreprise, tu es capitaine à bord. Certains peuvent dire : Michel, c’est difficile de travailler avec lui, parce que je suis exigeant par rapport à moi-même, mais je suis exigeant aussi pour le chanteur, pour les musiciens, pour l’ingénieur du son, pour toute l’équipe en général car j’en ai la responsabilité.

Y-a-t’il des contraintes de la part des maisons de disques ?
En fait, la contrainte est uniquement financière car, artistiquement, si un directeur fait appel à moi, je ne vois pas pourquoi il influencerait dans tel ou tel style. C’est absurde. C’est vrai qu’en France, on a tendance à coller des étiquettes. Si un réalisateur a fait Souchon et Voulzy, c’est qu’il est «variété» avec son côté péjoratif. Il ne pourra donc pas faire de rock, par exemple, ce qui est totalement stupide. J’ai une culture de jazz, j’ai commencé dans des groupes de rock, je sais ce que c’est, d’autant que les mélanges de genres sont toujours très efficaces.

Avec le recul, que penses-tu de l’évolution technologique pour faire un disque ?
Pendant un certain temps, on a beaucoup régressé à cause des machines et du home studio. On pensait que ce n’était pas grave si une personne n’avait pas de formation d’orchestrateur puisqu’on pouvait tout faire avec les machines qui imitent le son des trompettes, des cordes et qui, évidemment, peuvent jouer en rythme parce qu’elles rétablissent les erreurs de tempo. On avait l’impression d’être très professionnel, mais la créativité en a pris un coup. Maintenant, tout le monde est rassasié et on redécouvre une musique plus «primaire» avec des artistes tels que Vincent Delerm ou Bénabar. C’est une musique plus acoustique qui nécessite des prises de son, du travail en studio avec plusieurs musiciens. Je trouve que l’on revient à ce qui existait il y a vingt ans.

Quand on fait un disque, tout le monde écoute tout le monde et pioche les idées d’untel ou critique un autre. Cela donne une expérience à celui qui va faire son disque, mais en même temps, peu de personnes prennent réellement des risques en se disant : je vais casser ça en n’utilisant qu’un piano et une voix. Alors, même si ces artistes ont une musique minimaliste, je parle orchestralement, je reconnais qu’ils permettent de revenir à l’essentiel, donc bravo !

Penses-tu qu’il y a un manque de créativité en ce moment avec le nombre de best-of et autres compilations, sans oublier la Star Academy par exemple qui reprend d’anciennes chansons ?
Il faut reconnaître une chose, c’est que la musique que l’on dit de variété, c’est de la musique populaire et qui dit populaire dit mélodie et la mélodie, c’est ce que l’on retient. Pourquoi la Star Academy reprend ces chansons-là ? C’est qu’il n’y a pas de de réelles mélodies nouvelles. La chanson qui devient un tube pendant des décennies est rare ! Il n’y a pas si longtemps, j’entendais dans un restaurant la chanson de France Gall et Michel Berger, Ma déclaration, qui est vraiment sublime. Eh bien, des chansons comme celle-là, avec des textes et des mélodies de cette qualité, il y en a de moins en moins.

C’est vrai qu’il y a des problèmes de piratage liés à Internet, mais je pense qu’on va quand même acheter le CD (ou un autre support) si les chansons sont vraiment bonnes.

Et ton actualité ?
Je viens de terminer le mixage en 5.1 du DVD Live de Laurent Voulzy. C’est son spectacle grande formation qui est dessus avec des musiciens comme Manu Katché. Le timing ayant été très serré, nous n’avons pas pu mélanger ses concerts en formation réduite (3 musiciens) comme nous le voulions. Dans le même temps, grâce à Alain Souchon, j’ai fait la connaissance de Sandrine Kimberlin qui est une très bonne parolière. Alain a accepté d’écrire des musique avec son fils Pierre. C’est un mélange très intéressant. Ils m’ont demandé de réaliser cet album et j’y ai pris beaucoup de plaisir. On est actuellement en phase de mixage et il devrait sortir pour le printemps. C’est de la musique très acoustique, réalisée en studio avec quatre musiciens mais pas tout à fait académiques. On a fait appel à des instruments acoustiques comme le bouzouki, la mandoline, des guitares dobro, bottleneck… des instruments que l’on n’utilise pas très souvent. Il y a beaucoup de percussions avec du vibraphone, du célesta, de l’accordéon également. Ces instruments sortent des sentiers battus et créent une originalité sur les chansons.

Il y a quelques années, lors d’une précédente interview, tu me parlais de ton désir de faire des musiques de films. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Le grave problème est la notion d’étiquette. Je suis censé être arrangeur, travailler avec des artistes de la chanson de variété française. Il faut donc se faire connaître, recommencer à zéro auprès des personnes qui ont besoin de compositeurs de ce style de musique. De plus, quand je travaille sur la réalisation d’un album, cela me prend la moitié d’une année, voire plus, donc difficile de faire autre chose, je suis un peu prisonnier du système. Mais je ne désespère pas (rire)…

T’est-il arrivé de laisser partir au pressage des chansons dont tu n’étais pas satisfait ?
Très rarement. On peut avoir une perception d’une couleur musicale un jour et que l’on regrettera un an après, mais dans l’instant non, quand on y va, on y va ! Par contre, refaire entièrement des chansons pendant la réalisation, oui, cela m’est déjà arrivé, sur L’amour à la machine ou Les regrets de l’album Foule sentimentale d’Alain Souchon, par exemple

A ce propos, une rumeur circule disant que tu n’étais pas content du résultat du titre Les regrets et que tu aurais tout simplement effacé la bande enregistrée ?
Absolument ! L’ingénieur du son qui débutait à l’époque avec moi, Renaud Létang, était catastrophé d’avoir travaillé et cherché un bon son et que je lui dise : tu prends les 48 pistes, tu effaces tout et recommences différemment. Ce n’est pas quelque chose qui se fait habituellement dans le milieu. Mais lorsque tu mets la voix de l’interprète sur la musique et que tu te rends compte que ça ne va pas du tout, il faut avoir le courage de tout recommencer.

Justement, à la base, comment procèdes-tu ? D’abord la musique ou juste un motif rythmique, la mélodie ?
Pour moi, le texte est très important. Le style de la voix de l’interprète et ses possibilités vocales sont primordiaux : va-t-on le faire chanter dans le grave ou plutôt le faire monter dans l’aigu, quelle intensité veut-on donner, quelle couleur… En fonction d’une tonalité de voix, on va trouver l’habillage sonore adéquat. En fonction du placement de la voix dans l’espace (plus haut ou plus bas), on va orchestrer différemment, c’est mathématique. Au fur et à mesure du travail accompli, il faut savoir avancer, revenir en arrière et modifier ce qui est déjà fait, jusqu’à trouver le meilleur compromis. Pareil pour un tempo, si tu écoutes Beat It de Michael Jackson, le tempo, c’est celui-là et pas un autre, il a vraiment le truc !

Avec qui aimerais-tu travailler ?
Il y a des artistes de ma génération avec qui j’aimerais travailler, mais ceux avec qui j’aimerais vraiment, ce sont plutôt des jeunes artistes, complètement inconnus avec qui il y a tout à faire. Si une maison de disques me contacte pour un jeune artiste, je pars franco tout de suite ! Évidemment, si c’est un style qui m’est complètement étranger, je ne vais pas m’y frotter.

Une petite phrase de conclusion ?
Je m’aperçois d’une chose qui peut paraître très bête, mais qui est très importante. Les albums qui ont été réussis ont été réalisés dans une franche rigolade. Que ce soit avec Lavoine, Jonasz, Souchon, Voulzy, Clémence L’homme, et d’autres que j’oublie, nous avons passé de bons moments et cela se ressent énormément sur la musique parce qu’il y a des vibrations. Les gens ne savent pas comment un album est conçu de A à Z. On ne peut pas leur expliquer dans le détail ni en parlant, ni en écrivant, même en le voyant sur un support image. C’est du vécu, de l’instantané. Je pense que quand c’est fait dans une bonhommie d’adolescent, il se passe des choses. C’est ça le plus important.

 Propos recueillis en novembre 2004 par Ludovic Gombert (magazine Muscview n°1)

 
LEXIQUE TECHNIQUE
5.1
Système de restitution sonore qui s’utilise avec un amplificateur adéquat (généralement appelé Dolby Digital) et qui permet une écoute sur 6 haut-parleurs : une paire à l'avant, un autre à l'arrière, un haut-parleur central et dernier appelé : caisson de basse. Ce système s’est vite démocratisé avec l’apparition des lecteurs DVD. Depuis peu de temps, les DVD musicaux se sont mis aussi au 5.1 et proposent des concerts ou clips à ce format.

Bouzouki
Le bouzouki est un instrument grec de la famille des luths, composé d’un long manche et d’une caisse de résonance à fond semi-sphérique en Grèce et à fond plat en Irlande.

Célesta
Instrument à percussion composé d’un clavier qui actionne des marteaux frappant des lames en acier.

Mandoline
Instrument italien à cordes doubles.

Guitare Bottleneck / Guitare Slide
On appelle bottleneck ou slide, un petit tube de métal ou de verre que l'on déplace sur les cordes de la guitare dans le but de reproduire un son proche de la guitare hawaïenne. Littéralement «Slide» signifie «glisser» et «Bottleneck» «goulot de bouteille». Les techniques de la guitare slide et du bottleneck sont identiques, le slide est en verre alors que le bottleneck est métallique. On les fait glisser sur le manche de la guitare, accordée spécialement pour l'occasion en open tuning (accord ouvert). Contrairement à l'accordage standard de la guitare, l'open tuning permet d'obtenir un accord en grattant les cordes à vide de l'instrument.

Le jeu en slide apparaît chez les musiciens noirs de blues du Mississipi qui créent ainsi de toute pièce un nouveau style musical. Il sera repris plus tard par d'autres musiciens de blues comme Muddy Waters ou Elmore James, pour faire ensuite son apparition dans le blues électrique. Ry Cooder, Eric Clapton, les Allman Brothers ou encore Rory Gallagher en sont des spécialistes.

Guitare Dobro
Essentiellement destiné au jeu en slide, le Dobro est une guitare équipée d’un résonateur métallique placé sur la table, juste sous les cordes. Inventé par les frères Dopyera (DOpyera BROthers) fin 1925, les premiers modèles National comportaient un manche carré pour imiter les guitares hawaïennes. Pour jouer du blues au bottleneck, il faut une guitare métallique, avec un résonateur à cône type National, tandis que le Dobro est fait pour la country music ; c'est-à-dire, le Dobro en bois, avec le résonateur en étoile. Ce type d’instrument à la sonorité si particulière est utilisé par des guitaristes comme Bob Brozman, Ry Cooder ou encore Mark Knopfler sur l’album Brothers In Arms (sur la pochette de l’album même) de Dire Straits.

Home studio
Traduction pure : studio à la maison. Avec le progrès technologique réalisé ces vingt dernières années, il est désormais possible de travailler chez soi avec du matériel puissant, généralement axé autour d’un ordinateur permettant d’enregistrer la musique, d’instruments numériques (synthétiseurs, boîtes à rythmes…) et de matériels de sonorisation (console de mixage, enceintes, microphones…). Nombre de musiciens ont opté pour cette solution qui permet de travailler chez soi, à son rythme et évite le coût parfois onéreux d’un studio d’enregistrement.

Vibraphone
Instrument composé d’une série de lames en acier sur lesquelles le musicien frappe et de tubes servant de résonateurs avec un effet de vibrato (ondulation du son).