François Bronic

Avant de se faire entendre par un large public, encore faut-il se faire entendre au préalable par un Directeur Artistique ! Etape souvent redoutée par les artistes car elle semble inaccessible. Le métier de Directeur Artistique est méconnu. François Bronic nous parle en toute franchise de son rôle au sein de cette grande Major qu'est BMG.

Nota : Cette interview a été réalisée en septembre 2002. Et donc ? Depuis, quelles évolutions ? Chacun en tirera son analyse, selon que vous soyez DA, revendeur, artiste, média,... Quoi qu'il en soit, c'est toujours intéressant de prendre du recul... François Bronic est actuellement Président de iLuv France - JPS Marketing.

Backstage, ça vous dit quelque chose ? Deux magasins à Paris, un à Lyon et un à Bordeaux, ils ont très vite été reconnus comme de grands professionnels dans ce domaine si délicat qu'est la vente de matériel. S'il n'y avait pas de boutique dans votre ville, vous êtes au moins allés sur leur site Internet. Backstage n'existe plus… François Bronic en était le créateur.

De vendeur à Directeur Artistique, son parcours…
"Ça fait longtemps que j'ai la chance de travailler avec les artistes. En créant les magasins Backstage, j'avais comme clientèle les musiciens, les maisons de disques, les producteurs… Je cherchais un moyen de me rapprocher d'eux sans garder cette casquette de "vendeur de matériel". Les artistes venaient acheter chez nous, je cherchais donc une idée me permettant de réinvestir une partie de cet argent dans la production.

Au tout début de Backstage, Fred Perrin et moi avons fait une compilation autour de la Roland MC-303, la Groovebox. Cette opération consistait à donner une Groovebox à dix artistes électro, techno, etc, et de leur faire réaliser un titre uniquement avec cet appareil. Au final, un album intitulé Groovebox Experience est sorti chez Distance. Chaque artiste était logé à la même enseigne, ce n'était plus une question de moyen, ils avaient une Groovebox, point. Certains en tiraient profit, d'autres moins… Bon… Nous avons dû vendre deux ou trois mille copies, mais le concept était intéressant. D'ailleurs, nous l'avions proposé à Roland qui l'a refusé dans un premier temps pour "pomper" l'idée deux ans plus tard… Mais eux fait à l'échelle européenne !

Par la suite, alors que je continuais à chercher des idées, j'ai discuté avec Varda Kakon qui venait d'arriver chez BMG (elle est aujourd'hui Directrice de Production). Elle me disait que la société avait une image, non pas négative, mais pas très dynamique. Leur problème était que les artistes ne venaient pas déposer leurs démos chez eux.

Parallèlement, à chaque fois que je parlais avec les artistes, ils me confiaient qu'ils n'allaient plus vers les maisons de disques car obtenir un rendez-vous était quasiment impossible, que tout leur paraissait anonyme, qu'en envoyant leur démo, ils ne recevaient qu'une lettre type par retour. Tout ça était un peu abstrait. Alors, quand ils achetaient du matériel, ils nous faisaient souvent écouter leurs morceaux et un contact s'établissait.

C'est pourquoi j'ai dit à Varda que des musiciens de talent, il y en avait plein et lui ai proposé cette idée : "Plutôt que les musiciens apportent leur démo chez BMG, ils pourraient les déposer dans nos magasins. On fait un comité d'écoute réunissant des gens de Backstage et de BMG pour trouver les gagnants !" On l'a fait et ça a très bien marché ! La première année, le gagnant a été Mini Machine.

Puis, j'ai voulu quitter Backstage, j'ai vendu une partie du capital. Varda, qui commençait à être bien installée chez BMG, m'a dit qu'ils voulaient développer l'équipe artistique. Je connaissais déjà Bruno Gérentes qui en est le PDG. Je suis venu travailler quelque temps faire un essai, ça a bien fonctionné, je suis resté !"

Présélection et sélection
Vous postez votre maquette à une Major, vous attendez… C'est là que commence pour vous le flou artistique… Que se passe-t-il exactement ? Soyez attentifs à ce que nous dit François.

"Il y a deux niveaux de Directeur Artistique. Il y a ceux qu'on appelle les D.A. Juniors. Ce sont eux qui écoutent tout ce qui arrive au courrier et qui font une présélection. Ils sentent si l'artiste a un potentiel, un talent particulier. On cherche des artistes qui sortent un peu du lot. Nous n'avons aucun intérêt à signer un artiste qui serait le clone d'un artiste existant. Ils renvoient immédiatement tout ce qui n'est pas écoutable, pas diffusable, ou qui ne présente pas un intérêt artistique selon des critères assez classiques, comme l'artiste qui chante faux, qui fait des chansons qui ne tiennent pas debout ou qui est totalement hors sujet… On ne perd pas de temps, on lui renvoie sa démo avec une lettre type et ça s'arrête là.

La deuxième étape est celle de la sélection de tous les projets qui semblent tenir la route. Ils ne sont pas forcément aboutis, le niveau de la qualité d'enregistrement n'est pas un de ces critères, mais ils présentent cet intérêt artistique. Nous retenons avant tout la qualité des chansons, leurs textes, la qualité de l'interprétation, même si les instrus ne sont pas au top.

Ces D.A. Juniors ont des compétences en terme de repérage. Une fois que cette sélection est extraite de ce que l'on reçoit, on fait un comité d'écoute à 3 ou 4, on choisit les projets, on rencontre les artistes.

Et ça peut aussi s'arrêter là. Il se peut qu'il n'y ait pas de feeling entre nous. Parfois, l'artiste ne veut pas entendre ce qu'on lui dit. Il arrive sur la défensive, nous prend pour des gens qui veulent absolument lui faire faire une musique différente de celle qu'il a envie de faire, ce qui est rarement le cas. Quand on a écouté une démo, qu'on a fait venir l'artiste, ce n'est pas pour lui dire "Refais tout !". C'est vrai qu'on lui donne des contraintes. Aux artistes qui font des chansons de 10 minutes, on leur demande d'essayer de faire des chansons plus formatées en termes de temps, par exemple. On essaye de leur donner des conseils.

Après cette rencontre, nous lui faisons souvent un "contrat maquette". Nous avons notre studio dans l'immeuble. Nous lui en donnons l'accès pendant X temps et nous voyons ce qu'il en ressort. Si l'artiste fait des maquettes probantes, on avance. Si elles n'apportent rien de plus, nous lui laissons la propriété de ses maquettes et il fait ce qu'il veut.

Nous utilisons ce studio comme un véritable outil de travail. C'est très agréable car cela nous permet d'avoir les artistes 'à portée de main' dans l'immeuble. On y fait de la pré-production, des remixes, on s'en sert de plus en plus. Il est équipé de peu de matériels. Nous avons un Pro Tools HD, une Mackie Digital, deux ou trois bons amplis, un Avalon, un Manley, de bonnes réverbes, des micros classiques comme le Neumann. Nous n'avons pas de synthés car les artistes viennent travailler avec le leur. Ce studio a un aspect très pratique."

La frustration du Directeur Artistique
Figurez-vous que, contrairement aux idées reçues, un Directeur Artistique est un humain… Il est comme vous et moi, il aime la musique et s'y donne corps et âme, pour vous.

"Un Directeur Artistique doit être passionné de musique, c'est la première des choses. Mais il faut avoir une vision un peu plus large, parce qu'il y a une espèce de frustration en écoutant des démos super, en recevant des groupes qui ont des projets vraiment bien, mais qui, commercialement, ne rentrent pas dans la stratégie de la boîte pour laquelle tu bosses. Finalement, les signatures sont assez rares au vu du nombre de maquettes qui nous arrivent. La plupart du temps, nous sommes obligés de leur dire "Non" pour différentes raisons. Nous avons des artistes équivalents dans la maison, nous craquons personnellement sur tel ou tel projet, mais nous n'avons pas l'appui de toute la maison…

Nous passons souvent pour le mec qui a les oreilles bouchées, qui ne signe que ce qui va marcher tout de suite, etc. Ce qui est en partie vrai, nous aimerions faire du développement, mais ceci est plutôt réservé aux Labels indépendants. Les Majors ont des impératifs commerciaux à court terme qui sont un peu difficiles à tenir et à conjuguer avec "l'artistique" pur et dur.

De plus, en ce qui concerne BMG, mais je pense que ça fonctionne à peu près partout de la même manière, le travail autour de l'artiste est très sectorisé. En arrivant ici avec une expérience totalement différente, j'ai été surpris de voir qu'un artiste avec qui l'on passait parfois quatre, cinq, six mois à démarrer des maquettes, faire le choix des titres, à travailler en studio, se retrouvait tout à coup face à de nouveaux interlocuteurs. Pendant tout ce temps passé ensemble, une complicité peut s'établir entre nous, mais quand l'album est enfin prêt, ce sont les gens du marketing et de la promo qui prennent le relais. C'est un peu comme un enfant qui quitte sa mère prématurément…

Cette rupture n'est pas simple à vivre pour nous, mais surtout pour l'artiste qui est alors obligé de tout réexpliquer. Ces nouveaux interlocuteurs sont des gens compétents, ils comprennent et savent de quoi il s'agit, mais ils ne sont pas là au début du projet, ils n'ont pas forcément tous les tenants et les aboutissants de l'album. C'est pourquoi nous essayons de commencer à travailler avec eux en amont. Nous tâchons de les impliquer avant que l'album ne soit fini et de leur faire comprendre la démarche, les choix, pour qu'ils aient le temps de s'imprégner de la musique de l'artiste. De cette façon, ils ne se rencontrent pas la veille du début du travail et se connaissent déjà un petit peu.

Il est normal que chaque personne travaille dans son domaine de compétences, mais il faut reconnaître que ce n'est pas simple pour un artiste, surtout pour les nouveaux artistes qui n'ont pas l'expérience des maisons de disques. ça m'a un peu choqué au début. Je pensais qu'il y avait plus de continuité dans la relation. J'ai eu un peu de mal à m'y faire !"

Du pain sur la planche
Oui, le Directeur Artistique est là pour vous conseiller et faire des choix. S'il vous donne quelques contraintes, lui aussi en a beaucoup, mais n'oubliez pas que toutes vont dans le sens de votre carrière… Le Directeur Artistique a de nombreuses responsabilités.

"Le travail se partage entre les artistes existants et les nouveaux artistes. En effet, le travail sur les artistes existants est très important, il ne faut pas le négliger. En ce moment par exemple, je travaille sur l'album en espagnol d'Ana Torroja, l'ancienne chanteuse de Mécano, destiné au marché Latino. Il s'avère que c'est moi qui m'en occupe parce que je l'ai présentée à des gens et que ça fonctionne bien. C'est un travail de recherche de chansons, de réflexion autour du choix du producteur qui serait le mieux adapté.

Si l'artiste arrive en disant qu'il veut travailler avec telle ou telle personne, le rôle du Directeur Artistique est de tout faire pour obtenir son accord. Parfois le producteur, le réalisateur ou le musicien demandé n'est pas disponible, ou bien, il peut y avoir une contrainte budgétaire… Mais nous essayons de mettre l'artiste dans des conditions de travail optimisées. Certains artistes comme Laurent Voulzy ou Patrick Bruel sont très autonomes, mais souvent, nous sommes amenés à nous occuper du budget, à suivre les musiciens, à faire les lettres d'engagement, à choisir le studio, etc. Bien sûr, nous avons des assistantes pour nous aider !

Quant aux critères de choix du studio, ils sont très variables. Il se fait d'abord en fonction du budget qu'on a arrêté. Travailler dans un studio comme Méga ou Guillaume Tell ne coûte pas le même prix que d'aller travailler dans un gros home studio. D'ailleurs, nous travaillons de plus en plus chez les artistes puisqu'ils ont maintenant leurs propres outils de travail. Mais la phase studio est inévitable, ne serait-ce que pour le mixe ou le mastering. L'intervention d'un vrai Ingénieur du Son ayant travaillé sur une console SSL se ressent avec un résultat supérieur de ce qu'on obtiendrait chez soi avec une Yamaha O2R.

Nous prêtons attention à ne pas tomber dans le miroir aux alouettes quand arrive la phase du mastering. En effet, si l'on envoie une bande à Londres ou à New-York, rien ne nous garantit qu'il soit exécuté par le patron du studio, mais vite fait par un assistant. C'est souvent dangereux, on s'arrange donc pour y aller."

Varier les plaisirs !
Variété française, variété internationale, hip hop, électro, techno, rock, pop… Le catalogue de BMG est très vaste. Un Directeur Artistique consciencieux ne tend pas systématiquement vers ce qu'il aime… ça non plus, ce n'est pas si simple.

"Notre équipe artistique est assez développée, si bien que si une personne n'a pas vraiment envie de travailler sur un projet parce que ce n'est pas sa sensibilité, parce qu'il ne se sent pas suffisamment proche musicalement, il y aura toujours quelqu'un pour le faire. Mais le vrai travail, c'est aussi de savoir s'occuper de tout le monde. Il vaut mieux ne pas être sectaire. Si l'on ne s'occupait que de la musique qui nous plaît personnellement, ça ne pourrait pas fonctionner. Bien sûr, on s'occupe en priorité des projets qui touchent notre sensibilité musicale.

L'approche humaine n'est pas la même selon le genre musical. Lorsque l'on à affaire à des musiques moins commerciales, c'est souvent là que les artistes sont sur la défensive à notre égard. Mais il faut bien comprendre que la vocation d'une Major est de le rendre accessible au plus grand nombre. Si l'artiste veut rester libre, il choisit de rester sur un Label indépendant. Avec une Major, l'artiste doit intégrer ces contraintes.

De toute façon, avant de signer quoi que ce soit, on fait un travail préventif sur la manière dont on voit l'évolution du projet, l'enregistrement du disque. On s'assure que l'artiste est en phase avec ce qu'on lui demande. Il arrive parfois que l'artiste exprime ses attentes en nous disant "Je fais ça, mais je ne sais pas vers quelle direction me rendre. J'ai mis ça sur la bande, c'est sorti, mais j'ai besoin d'un coup de main. Je ne veux plus rester seul chez moi. Je veux vendre des disques et passer en radio…" On essaye toujours de garder l'identité de l'artiste tout en l'emmenant vers un public plus large.

Si l'on se rend compte qu'il pourrait y avoir la moindre tension ou la moindre incompréhension après la signature du contrat, on ne le fait pas. On n'a pas de temps à perdre en luttant avec les artistes. Nous passons des mois, voire des années avant d'aboutir un projet. Notre travail est un travail de confiance réciproque. Il nous est arrivé de nombreuses fois de ne pas signer un artiste sur qui l'on craquait vraiment à cause de cela. C'est une notion très importante. '

Merci l'électro !
Avec l'arrivée des logiciels musicaux accessibles à tous, certains se sont mis à rêver de devenir le plus créatif des musiciens et de se dire "La musique, c'est facile finalement !". Un miroir aux alouettes qui a du bon…

"Je trouve que ça a fait évoluer la musique. Cette vague électro, cette french touch, existe parce qu'il y a eu toutes ces machines, les Mac, Pro Tools et tous les synthés virtuels. Les gens ont pu créer une nouvelle musique chez eux.

En tant que Directeur Artistique, il est agréable de travailler aujourd'hui dans une maison de disques en France. Depuis ces deux ou trois dernières années, nous avons constaté un vrai changement : nous avons obtenu une crédibilité à l'étranger. Avant, lorsque nous appelions à l'étranger pour parler d'un projet de musique française, les gens ne nous répondaient même pas. Maintenant, ça les intéressent et ils veulent écouter… C'est plutôt bon signe ! L'image du Français avec béret, baguette sous bras et accordéon était tenace. Des groupes comme Mirwais, Daft Punk ou Air ont apporté ce touché Français à la musique électronique.

Les chiffres de ventes à l'étranger le démontrent bien. Avant, la musique française faisait des scores ridicules. Aujourd'hui, même une artiste comme Alizée qui n'est pas du tout électronique, vend 5 millions d'albums en Europe… Mais il faut reconnaître que ça a été possible avec l'électro, parce que les vocaux sont en anglais. C'est encore difficile de signer des chansons de variété dans une autre langue que la nôtre, sans parler des quotas radio. Néanmoins, je pense que c'est une barrière qui va tomber dans les mois ou les années à venir…"

Et l'hardware dans tout ça ?
Il était certain que François Bronic aurait beaucoup de choses à dire à propos du marché de l'hardware. L'analyste développe…

"La fermeture des magasins n'est pas forcément liée aux changements technologiques. C'est un peu comme les grands groupes de l'industrie musicale. Leurs difficultés financières ne sont pas nécessairement liées aux CD gravés. Quand les mastodontes veulent tout faire : vendre de l'eau, de la musique, du cinéma et des déchets industriels, il est un moment où il est difficile de manager tout ça, d'avoir une stratégie et de rester cohérent. Concernant le groupe Guillard, par exemple, je pense que ce sont des gens qui ont perdu le contrôle de ce qu'ils voulaient faire. A force de vouloir tout racheter, tout contrôler, ils s'éloignent. Il faut toujours savoir à qui l'on s'adresse, de quoi on parle.

La vente de matériel est en mutation évidente. Le hardware est en chute libre, le software, quant à lui, est en train de se développer comme jamais. Il est vrai qu'un musicien qui n'a pas beaucoup d'argent peut faire de la musique grâce aux plug-ins et aux synthés virtuels qui sont faciles à obtenir. Acheter un synthé en hardware une somme conséquente, et voir le même, version plug-in pour zéro Euro parce qu'il est "craqué", ça donne à réfléchir… c'est évident. C'est une situation compréhensible, qu'il ne faut pas cautionner, bien sûr, mais je pense que ça va passer par des changements de politique tarifaire.

Il faut avouer que les revendeurs ont un petit peu abusé de la situation. Ils étaient dans une certaine logique commerciale pour obtenir un meilleur bénéfice, mais n'offraient pas beaucoup de services autour. En tant que consommateur de matériel pour le studio de BMG dont je m'occupe, j'ai pu constater qu'en envoyant des mails aux revendeurs pour obtenir des informations, neuf fois sur dix, je n'avais aucune réponse. En parallèle, Internet devient un outil fantastique. N'ayant plus d'interlocuteurs sérieux, les musiciens aujourd'hui sollicitent les revendeurs européens via les sites et obtiennent ainsi les meilleurs prix.

Il reste des revendeurs sérieux, bien sûr, mais j'ai l'impression qu'il y a eu une espèce de relâchement de leur part, plus aucun suivi. Même s'il est difficile de tout stocker, trouver un plug-in en magasin est quasiment impossible. Ils pensent qu'ils sont tous "craqués", donc préfèrent ne pas en prendre du tout. Alors que nombre de musiciens, notamment les professionnels, n'ont pas envie d'être dans l'illégalité, ils achètent. La démarche est de l'essayer en "craqué" et de l'acheter pour l'utiliser parce qu'ils veulent les mises à jour et qu'ils ne veulent pas travailler avec du matériel qui serait l'équivalent d'un matériel volé, tout simplement."

Quand opteront-ils pour Internet ?
Dès l'arrivée d'Internet, les revendeurs n'auraient-ils pas pu l'intégrer immédiatement comme leur vitrine ? Ont-ils été en perte de vitesse à ce moment-là ?

"Les revendeurs se disent qu'Internet ne fait pas vendre beaucoup plus de matériels. Ce qui est vrai. Lorsque je l'ai fait pour Backstage, les commandes que l'on recevait du site n'étaient pas très importantes. Mais on gagnait beaucoup de temps, parce que le client avait déjà repéré le matériel et arrivait au magasin avec la page imprimée pour nous montrer ce qu'il avait vu. Les gens se méfient encore du paiement par le Net et n'osent pas entrer le numéro de leur carte bancaire. En conséquence, les revendeurs se sont dit que ce n'était pas intéressant pour eux d'investir dans la création d'un site pour ne faire que trois ventes par mois. D'autre part, il faut avoir l'envie de le faire, c'est beaucoup de travail.

C'est une erreur d'analyse de leur part. Certains sont en train de le faire, et même s'ils ne paraissent pas très professionnels dans leur démarche, on sent que leur volonté va dans ce sens. Ils ont enfin compris que tous les studios et home-studios sont équipés d'ordinateurs et sont donc connectés à Internet. C'est aussi important aujourd'hui que d'avoir une table de mixage !
En Europe, c'est déjà bien développé. Je pense que les Français vont s'y mettre. Ils ont intérêt, sinon, ils vont mourir !"

Maisons de disques et Internet : paradoxe ?
Les maisons de disques, elles aussi, ont du mal à marquer leur territoire sur Internet. Elles ne le considèrent pas encore comme un vrai support de presse possible, on ne comprend pas bien ce qu'elles veulent faire de leur propre site : présentation de leur catalogue, promotion d'artistes, ventes en ligne ?

"La position de BMG France est celle de BMG Monde. Sa politique aujourd'hui est de faire un gros site pour vendre la musique en ligne. ça peut nous mettre en porte-à-faux avec certaines enseignes de ventes, bien sûr, mais c'est un mal nécessaire. Toutes les majors vont arriver à ça.

Ici, notre site www.ecoutez-vous.fr est une petite vitrine de nos artistes français. Evidemment, nous ne faisons pas de téléchargement car nous devons nous caler sur la politique européenne. Nous n'avons pas une démarche très agressive vis-à-vis de l'Internet, ce n'est pas un axe privilégié pour l'instant en France.

Même chose concernant le rapport presse Internet. Les maisons de disques ne considèrent pas encore le Net comme un média "palpable". C'est leur côté conservateur. Elles aiment garder le contrôle, ça leur est donc difficile d'envoyer du contenu dans la nature sans trop savoir comment ça va être utilisé, d'autant qu'il existe des centaines de sites qui parlent de musique dont on ne sait même pas s'ils existeront trois mois plus tard… Il faut également reconnaître que c'est dur de s'y retrouver pour une personne lambda qui ne consulte pas forcément tous les jours.

Mais tout ça va changer ! Dans les plans marketing et promo d'aujourd'hui, la stratégie Internet fait partie de la réflexion. Les maisons de disques ont intégré le fait que le Net est un outil incroyable que l'on peut utiliser de manière beaucoup plus efficace et que c'est un support privilégié tant pour la promo, que pour la communication autour des artistes."

L'agenda de François Bronic
C'est une question d'habitude, certes, je veux bien le croire… mais tout de même ! Etre Directeur Artistique demande à avoir la tête sur les épaules, une organisation certaine, mais aussi un peu d'imagination.

"Actuellement, je travaille sur l'album d'Ana Torroja, réalisé par Eric Mouquet de Deep Forest. C'est une rencontre étonnante qui amène Ana vers une direction un peu plus électronique. Le résultat sera très intéressant.

En parallèle, je m'occupe d'un projet totalement à l'opposé artistiquement, à savoir un girlsband pour les enfants ! J'ai un peu planché sur l'album de Nicolas Peyrac qui va sortir dans quelque temps. Je fais des recherches de chansons pour le prochain album de Judith Bérard. Je travaille sur Pop Idol, concept télé inventé par BMG qui marche très fort dans le monde entier. Il arrivera en France en 2003. Je suis des artistes qui sont en développement dont j'espère obtenir une signature.

Comme vous le voyez, je travaille sur pas mal de choses différentes ! Tous ces projets doivent être cohérents, bien positionnés en termes de stratégie, c'est-à-dire : par qui sera entouré l'artiste, va-t-on d'abord passer par la scène ou tenter la radio directement, dans quel bac va-t-on mettre l'album en magasin : musique française, électro ? Autant de questions dont les réponses doivent être très claires avant de présenter son projet au PDG ou à l'ensemble de la maison.

Il faut toujours garder en tête qu'une Major est avant tout une entreprise commerciale dont l'artistique est la matière, mais dont on attend un résultat. Il faut donc avoir conscience du marché. C'est vrai que, encore une fois, je comprends que cela puisse être abstrait pour les artistes, néanmoins, eux comme nous devons intégrer toutes ces notions.

Comme il est vrai que les PDG de Major ont cette fibre artistique indispensable à la direction d'une telle société, et c'est bien de le rappeler !"

Quoi qu'il en soit, nous retenons qu'une Major est une société commerciale qui doit faire du chiffre comme toute autre société. Ce qui la différencie des autres, c'est l'amour de la musique, l'amour pour les artistes qu'elle signe. C'est aussi le lot quotidien d'un Directeur Artistique passionné.

Propos recueillis en septembre 2004 pour Musicrun par Maritta Calvez

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