Camille BAZBAZ

Tout artiste a un univers qui lui est propre, c’est entendu. Mais celui-là a le don de viser juste à l’endroit le plus sensible du cœur, le plus joli, le plus amoureux, le plus triste aussi, ce qui en fait un langage poétique. Il s’est inventé un style musical dont la trame de fond reste le reggae, en alchimie avec la soul et le blues.

Si le groupe Le Cri de la Mouche dont il était le clavier a eu son heure de gloire pendant les années 90, le parcours en solo de Camille Bazbaz est un peu plus chaotique. Et l’on est en droit de se demander pourquoi, parce qu’une chose est sûre, du talent, il a en a. Alors est-ce une simple question de destin ou une histoire de business, nul ne sait ni ne saura. Pour notre plus grand bonheur, Camille ne s’arrêtera pas de créer parce que la musique, c’est sa vie ! Suivons ses pas.

As-tu un mode de fonctionnement pour travailler ?
Comme la vie, je fonctionne n’importe comment ! Ça fonctionne n’importe quand, parfois ça ne fonctionne pas. Ça fonctionne aussi en se mettant au boulot. Il y a un minimum de sérieux à avoir, comment dire… tu n’as envie de rien. Quand tu es musicien, tu es ton propre patron, il n’y a que toi pour te dire de te mettre au piano ou à l’ordinateur. Si tu te laisses aller, tu peux dériver jusqu’au bord du trottoir. Personne ne va te retenir et t’en empêcher. Bref, il faut se forcer. Une chanson, c’est une minute et 15 ans. Par exemple, D’une Balle (ndlr. titre de son précédent album Une Envie de Chien), je l’avais dans la tête depuis l’âge de 19 ans. J’avais cette première phrase «Oui, c’est moi, d’une balle dans le cœur, oui, c’est moi, d’une balle dans le cœur, ni 3, ni 2 juste une». Je ne trouvais pas la 2e phrase. Environ 8 ans plus tard, elle est sortie dans la foulée un dimanche. Chaque chanson a son cheminement. Mais ça vient quand même de la solitude. Je ne peux pas écrire au milieu de 40 000 personnes sur mon dos.

Que s’est-il passé entre Une Envie de Chien et Sur le Bout de la Langue ? Je crois que tu as eu du mal à t’y remettre pour toi ?
Disons que je me suis fait virer. Il y a eu plein d’aventures horribles dans le label, tu sais, les grandes restructurations de ce monde vertical… Tu commences à travailler avec quelqu’un pendant x temps et un jour, tu arrives, ce n’est plus le même interlocuteur, changement de direction. Il y a eu une valse qui t’a échappé parce que tu n’as pas le nez là-dedans toute la journée. Donc ce nouveau mec te dit «Écoute mon p’tit gars, j’vois pas trop ce qu’on va pouvoir faire de toi». Le moral flanche, mais c’est plutôt un service au final.

C’est vrai ?
Oui, parce que «j’avais le cul bordé de nouilles» comme on dit en latin ! Avec mon premier groupe, Le Cri de la Mouche, on a eu l’énergie et la chance d’exister assez rapidement. J’étais môme, je sortais du bahut. On avait une maison de disques et l’aventure a duré près de 10 ans quand même ! Après le Cri, j’ai tout de suite trouvé un deal. Je ne me suis pas retrouvé à devoir reconquérir ma place au sein d’une maison de disques. D’ailleurs, je ne sais pas vendre mes albums tout seul, j’en suis incapable. Ça ne me procurerait pas de plaisir de demander de l’argent pour ma musique. Il y a des gens dans mon quartier qui me disent «tu veux bien me vendre ton album ?», je réponds «oui, oui». Mais au final, je lui fais «paye-moi une bière et c’est bon !»

Qu’as-tu fait alors ?
J’ai essayé de replacer mon album dans un autre label, des petits, des moyens, des gros. Personne n’en voulait. J’ai un peu ramé. J’ai passé beaucoup de temps à faire la musique du film de Pierre Salvadori Les Marchands de Sable. J’ai fait des séances de clavier… J’ai fait mon métier de troubadour ! Et en même temps, je continuais à composer des chansons parce que je suis têtu comme une mule (!), mais c’est surtout que je ne peux pas vivre si je n’écris pas de chansons.

Peux-tu nous parler de Pierre Salvadori ?
Ce garçon est devenu mon frère. On refait le monde au minimum deux à trois fois par semaine, sinon on ne se sent pas bien ! On le refait sérieusement, pas sérieusement, en riant, en pleurant. On est tellement d’accord sur plein de choses !

Je l’ai rencontré à l’époque de mon premier album Dubadelik. C’est une fille qui a fait l’intermédiaire, comme souvent dans ma vie. Donc, sa nana lui a dit d’écouter ce que je faisais. Il m’a laissé un message alors qu’il préparait Comme elle respire. Je n’en revenais pas, moi qui ai toujours rêvé de faire des musiques de films et qui suis imprégné des séries télé ! On se rencontre… et je rencontre un amour de mec. Pourtant, autant j’aime le cinéma, autant ce que j’avais flairé du milieu ne me plaisait pas, je le trouvais un peu «pouet-pouet» !

J’avais vu et adoré Les Apprentis avant de le connaître. Je m’étais dit «Purée, c’est un film qui parle de moi !» C’est ça qui est mignon dans ce qu’on fait, le cinéma, la musique, l’art mineur ou majeur peu importe, on rencontre des frangins sans les connaître. Tout d’un coup, on se dit qu’on est moins seul. Et hop ! deux mois après, Pierre me laisse un message. Je peux te dire que je lui suis tombé sur le dos : «Bon, tu oublies les autres personnes avec qui tu voulais travailler, c’est moi, je vais tout faire !» Il m’a regardé, genre «ouais, ouais, bon…». Je suis revenu deux jours après avec pratiquement toute la musique d’après le scénario, sans images ! Et voilà, on s’est mis à parler de tout ! Je lui ai un peu forcé la main, mais en même temps… je ne sais pas… S’il avait été une femme, je l’aurais demandé en mariage, je pense !

Et de fil en aiguille, il y a eu Le Marchand de Sable. Il m’a carrément mis en scène dans son film ! Et la troisième aventure ensemble, c’est Après Vous. Vivement la prochaine ! C’est quelque chose qui m’aide à vivre artistiquement.

J’aimerais bien travailler avec d’autres réalisateurs et assouvir mes fantasmes un peu plus instrumentaux, parce que Pierre Salvadori aime mes chansons, mes textes, mon univers, si bien que je ne fais pas tellement d’efforts.

camille bazbaz

Pour Sur le Bout de la Langue, tu as travaillé avec Alain Manoukian et Sandrine Kiberlain. Comment cela s’est-il passé ?
Alors que j’étais sans maison de disques, Alain Manoukian voulait me donner un coup de main, donc on a fait quelques titres ensemble dont un, Fatale, qui est sur mon album et un autre sur celui de Gérard Darmon. La musique crée des raccourcis, tu n’as pas besoin de raconter ta vie. Tu joues, tu sais qui est l’autre. C’est notre langage. Je comprends tous les musiciens avec lesquels j’ai joué. Je les comprends par la musique qu’ils font, sans être de vieux potes de 15 ans.

Sandrine Kiberlain, c’est une rencontre Salvadorienne ! Comme elle était actrice dans Après Vous, elle avait entendu les titres Sur le Bout de la Langue et Tango Charly. Elle avait depuis longtemps envie de faire un disque, elle avait écrit des textes à droite, à gauche. Un jour, elle m’appelle pour me dire qu’elle aimerait bien m’en faire lire quelques-uns et, pourquoi pas, travailler avec moi. J’avoue que lorsque je les ai lus, j’ai eu un flash. Ça correspondait à mes phrasés, pas trop de mots. J’imaginais de belles mélodies dessus. Ça me chantait des choses. Je ne les ai pas lus devant elle parce que ça me gênait. Et voilà, on a travaillé sur son album et le mien. Travailler avec Sandrine Kiberlain, c’est du bonheur. Je suis vraiment content d’avoir mis quelques titres sur son album. L’autre équipe de compositeurs, c’est Souchon père et fils.

Choisis-tu seul les titres qui prennent place sur ton album ?
C’est une discussion avec Georges Fernandez, le directeur artistique du label Saint George. Je m’entends très bien avec lui. Lors de la préparation de l’album, nous avons réfléchi ensemble sur l’option à prendre «Garde-t-on les maquettes comme ça, est-ce qu’on arrange beaucoup, y-a-t-il des gens avec qui tu aimerais travailler ?» J’avais envie d’avoir un miroir. Je ne voulais pas être à la fois acteur et observateur. J’ai donc fait appel à mon vieux pote Laurent Loupidi, ex batteur des Satellites que j’ai accompagnés longtemps sur scène. Il travaille en duo avec Placido ; leur pseudo, c’est Loo & Placido. Petit à petit, tous ensemble, nous nous sommes mis d’accord sur l’idée d’un album le plus épuré possible. C’est pour ça d’ailleurs que, pour la première fois, je suis seul sur scène avec mon clavier et mon guitariste Jérôme Perez. J’ai été poussé à le faire, je me demandais comment je pourrais intéresser les gens. Je leur ai dit « si je me prends une peau de banane, je vous préviens, je vous la fais manger ! » Et, à ma grande surprise, ça s’est très bien passé !

 

Quand Pierre Salvadori parle de Camille Bazbaz
« On a un mode de vie dramatiquement parallèle ! La première chose qui m’a frappé chez Camille, c’est sa verve. Il a une façon de raconter les choses, le quotidien, la politique, les gens, le quartier, d’une façon très imagée, parlante, drôle. C’est une amitié enrichissante. On a la chance d’être conscients du soutien que l’on s’apporte…

Quand je prépare un film, je lui fais lire le scénario et j’ouvre grand mes oreilles, pas moins qu’avec un producteur ! Parce qu’il a un goût très sûr et un langage quasi de scénariste. Je me souviens d’une de ses réflexions disant que je ne devais pas justifier les actes de mes personnages, sinon je donnais l’impression de m’excuser pour eux. C’est très juste…

Camille est inquiet et peut avoir des moments de découragement violent. Il a ce mélange d’inconscience et de lucidité qui fait qu’on peut se sentir mal parfois. Mais ce qui le tient le plus, et ça j’en suis sûr, c’est l’amour de la musique. Il est extrêmement sincère, trop parfois ! »

Propos recueillis par Maritta Calvez en janvier 2005 (magazine MusicView n°2)

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