Bernard WERBER

Écrivain de talent, au succès mérité et reconnu à travers le monde, Bernard Werber nous expose ici sa conception des nouvelles technologies et de la musique.

Pourquoi dans un univers de création musicale, parler d’un écrivain ? Simplement parce que la personne en question possède des bases musicales, d’informatique, et s’intéresse de près à l’évolution d’Internet. Parce que dans son roman La révolution des fourmis, Bernard Werber conçoit la musique comme une « arme » non-violente pouvant changer la société et capable d’agir sur le corps humain. Enfin, parce qu’il s’agit d’un auteur français de talent (traduit dans plus de 20 pays), au style qui ne peut laisser insensible et d’une ouverture d’esprit permettant d’aborder n’importe quel sujet, pour le bonheur de son lectorat.

La genèse

C’est en 1961 que Bernard Werber voit le jour à Toulouse. C’est d’ailleurs dans ce charmant paysage français qu’il fait ses études, guère brillantes selon ses dires, en raison d’une mémoire défaillante et d’un goût plus prononcé pour le concret que l’abstrait… « Je n’arrivais pas vraiment à mémoriser les formules mathématiques, par contre j’arrivais à les prolonger. Mais ça, les profs s’en fichaient ». Toutefois ses passions pour l’électronique, l’histoire, l’astronomie et son côté solitaire et introverti, le poussent très tôt à dévorer toutes sortes d’ouvrages. En 1980, il poursuit des études de criminologie et fréquente assidûment les tribunaux de Toulouse, ce qui lui apporte de sérieuses et précieuses connaissances qu’il mettra en pratique plus tard dans ses romans (notamment Le père de nos pères).

Ses premiers chocs littéraires se feront au travers d’Isaac Asimov (Fondation), Franck Herbert (Dunes), puis plus tard Philip K. Dick. C’est à cette époque (1982) qu’il découvre, comme beaucoup d’autres, l’informatique domestique avec l’apparition de l’Oric Atmos. Il s’essaye alors à la programmation Basic et aux premiers traitements de texte, d’autant plus qu’entre-temps il est monté à Paris pour étudier le journalisme.

Après un apprentissage de la photographie, il devient pigiste à L’Évènement du jeudi, Le Point et Libération, puis de 1984 à 1990, passe journaliste scientifique au Nouvel Observateur, côtoyant ainsi de nombreux chercheurs de renommée mondiale. En mars 1991, publication de sa première œuvre, Les Fourmis, chez Albin Michel.
Bernard Werber 2De l’origine des fourmis

Bernard Werber a commencé à écrire dès l’âge de quatorze ans avec les premières esquisses de ce qui allait devenir L’Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu (référence que l’on retrouve dans la saga des Fourmis). Puis à seize ans, c’est l’ébauche du roman Les Fourmis, qu’il mettra douze ans à écrire, en le remaniant près de 150 fois. La première version comportait environ 1 500 pages, celle définitive pour le commerce en fera 350 ! Il n’hésite pas à se remettre en question à chaque fois, en faisant lire sa prose autour de lui, attentif aux félicitations et aux critiques.

Si sa première œuvre est un succès d’estime, lié surtout au bouche-à-oreille enthousiaste de ses lecteurs, il est boudé par la critique… dont la clairvoyance et l’objectivité ne sont plus à démontrer ! L’année suivante, il récidive avec Le jour des fourmis, puis deux ans après avec Les Thanatonautes, où là encore, la presse passe complètement à côté d’un livre novateur.

En colère contre ce pseudo-snobisme, injustifié et certainement obsolète au regard du succès de plus en plus considérable auprès du grand public, il publie son troisième roman du cycle : La révolution des fourmis, dans lequel il fait la part belle à l’informatique internet et la musique.

1 + 1 = 3

« Je pense qu’une révolution non-violente peut exister, et c’est sûrement par Internet qu’elle peut voir le jour, comme je l’explique dans mon roman (La révolution des fourmis). Avec le Web, c’est un espace de liberté qui est ouvert, dans lequel les anciens soixante-huitards, devenus maintenant des bourgeois, ne peuvent exercer leur censure.

Mais cette révolte s’exprime déjà dans la musique actuelle, que cela soit verbal ou musical. On ne s’en rend pas forcément compte, mais la musique agit sur l’organisme. Un tempo élevé a tendance à exciter tandis qu’une musique lente a un effet relaxant. On peut même aller jusqu’à obtenir des transes auprès du public (cela s’est déjà vu) et à ce moment-là, il est facile de le contrôler, de le manipuler par un discours ou des paroles appropriées. »

L’apprentissage musical

« J’ai commencé par apprendre le piano vers l’âge de douze ans. C’était pour moi un véritable enfer, car j’avais un professeur qui me tapait sur les doigts avec une règle lorsque je faisais des fausses notes. J’ai donc mis très vite un terme à tout cela. Beaucoup plus tard, je suis revenu à la guitare en autodidacte et j’ai appris quelques bases. C’est plus convivial. Je joue avec des amis et s’il y a des couacs, ils s’intègrent sans problème dans le contexte. »


Dans son appartement, la pièce dédiée à l’écriture est une sorte de musée hétéroclite où l’on croise des boîtes à archives de ses différents manuscrits, des CD audio en pagaille et des étagères de livres où la science-fiction côtoie la science tout court. Un PC Pentium trône au milieu avec un organizeur, des enceintes multimédia et un téléphone portable. Notre homme est un vrai féru d’électronique, de gadgets et se tient au courant des dernières nouveautés technologiques.

« Côté informatique musicale, j’ai un vieux synthétiseur Roland D-20 et j’utilise un Cubase sur PC, après avoir goûté aux charmes de l’Atari et ses prises MIDI intégrées en son temps… Dans l’avenir, je compte investir dans un piano numérique Yamaha Clavinova. »

Et maintenant ?

Et l’aspect purement musical, qu’en pense-t-il ? « Je dois reconnaître que ce que l’on entend actuellement sur les ondes ne me réjouit pas vraiment. Que cela soit dans le domaine littéraire, télévisuel ou musical, on a une masse considérable de mauvaises choses qui finit par noyer le faible talent créatif et l’empêche d’émerger. Ce n’est pas possible que le grand public plébiscite cela ? Musicalement, c’est vraiment pauvre. Il n’y a plus de mélodie, ni de texte valable. Simplement une sorte de marteau-piqueur qui donne la cadence. C’est triste. »

Peut-être est-ce par réaction à ce climat qu’il envoie en 1997 son manuscrit Le livre du voyage au compositeur Loïc Etienne pour qu’il conçoive une musique en concordance avec le livre. Le résultat se concrétisera sous la forme d’un CD audio à écouter pendant la lecture. Un concept original qui concorde parfaitement avec une des dernières phrases du troisième tome des Fourmis : « L’avenir n’appartient ni aux puissants, ni aux étincelants. L’avenir est forcément aux inventeurs. Inventez ! ».

 Le livre du voyage
Comment concilier musique et littérature
Loïc Etienne a composé l’album Le livre du voyage en deux mois, après lecture du manuscrit de Bernard Werber. C’est une musique totalement dédiée, dont la conception a été préparée avec soin puisque Loïc a dû adapter un rythme musical s’appuyant sur une vitesse de lecture moyenne permettant de suivre la musique en même temps que l’on découvre le livre : une première en matière d’interactivité ! On se retrouve plongé dans un style new-age, faisant visiter les différents mondes du livre (air, terre, feu, eau). Loïc n’en est pas à ses débuts puisque cela fait plus de vingt ans qu’il maîtrise les instruments électroniques (Korg MS 20, Mac 512…) et qu’il a participé à de nombreuses musiques de film (près de 25) et albums.

La musique du CD a été entièrement réalisée en MIDI, avec le matériel informatique suivant : Macintosh 8500, updaté en G2 avec Digital Performer et Interface MOTU 2408. Synthétiseurs : Kurzweil K1000/K2500. Akai S2000/CD3000, Roland JV-1080/MBD-1, E-mu Proteus 2. Audio : effets Lexicon/Eventide DAT, console Yamaha Promix.

 La révolution Internet 
Vous pouvez retrouver Bernard Werber sur son site internet. Informations, biographies, réponse à des courriers envoyées, liens avec d’autres sites. Une mine d’or à parcourir : www.bernardwerber.com

Interview réalisée en septembre 1999 par Ludovic Gombert pour le magazine Computer Music n°4


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